Le virus, les gens et l'après coup

psy covid19

Depuis le début de ce temps qu’on nomme « confinement », les métiers fondamentalement humains – celui du psychanalyste entre autres - se sont à leur tour ‘virtualisés’. Pourtant ils ne sont certainement pas « déshumanisés».
Le psychanalyste et son patient au bout du fils ou de l’autre coté de l’écran peuvent être encore « proches », dans un espace virtuel qui demeure confidentiel.

Comme certains confrères, j’ai offert à mes patients la possibilité de séances par téléphone ou par Skype. Certains s’en saisissent, d’autres non.
L’échange (un mot qui ne viendrait pas à propos d’une séance en présence) revêt une actualité particulière.
Sur Skype ou par téléphone le patient est seul face à lui même mais en présence de son analyste. Si la praesentia (physique et réelle) n’est pas autorisée, la présence n’est pas soumise au même régime. Elle nous renvoie à la notion décrite magistralement par Winnicott, à savoir la capacité d’être seul en présence de quelqu’un aimé comme un signe important de la maturité du développement affectif.

Ainsi se déroulent d’une manière nouvelle les mouvements psychiques des uns et des autres, s’entremêlent les images du présent envahies par les bombardements médiatiques et celles privées du passé, récent ou lointain. Ainsi se profile aussi un certain avenir avec son flot d’incertitudes…
Les ressources et les fragilités se mobilisent désormais plus à partir de ressentis - oscillants certes - que des vécus expérientiels qui n’ont pas lieu depuis plusieurs semaines.
Ce n’est pas parce qu’il ne se passe rien à l’extérieur (le confinement privant de celui-ci), qu’il ne se passe rien à l’intérieur. Jamais ce postulat n’a été plus vrai.

Certains sujets émergent avec une force particulière : la peur, les peurs de la mort et de la vie, la perte réelle ou fantasmatique, la solitude, le manque d’un proche aimé (existant mais ailleurs ou désiré, imaginé), le soulagement de ne plus être soumis au regard des autres, l’envie que son travail - et au fond soi - soit vu et reconnu par quelqu’un, l’empêchement de se projeter dans un après et les angoisses que cette impossibilité soulève, l’impuissance d’être/exister et ne pas savoir si ou comment agir…Le confinement met en scène à l’intérieur de chacun tous ces conflits qui ne peuvent plus (ou presque) être évacués, contournés par des agir ou, pire, par des passages à l’acte.
Les désirs, quant à eux, peinent à de différencier des besoins pour certains.
Les principes de réalité et de celui du plaisir connaissent un temps d’extrême confusion.

Le texte qui suit n’a pas « la séance au téléphone » pour objet même s’il en est issu. C’est l’effondrement d’un médecin interne qui est à l’origine de son propre bouleversement. Elle avait déjà été frappée par la différence radicale de conduite chez les soignants, médecins et infirmiers, avec le malade, le corps du malade, selon qu’il soit encore en vie ou qu’il vienne de mourir. Avant la mort, jusqu’à la fin, la présence au chevet est une omniprésence, au risque considérable de sa propre infection, quelles que soient les protections dont on s’entoure. Mais à peine la mort survenue c’est comme si plus personne ne voulait franchir le seuil de la chambre. Reste pourtant à accomplir un minimum de gestes avant que les pompes funèbres ne viennent récupérer le sac mortuaire. C’est l’interne en question qui s’était chargé cette fois de la tâche redoutée : brûler les vêtements du mort, enfiler le sac mortuaire sur le cadavre nu. L’effondrement avait suivi.
Un autre patient, concerné par l’enterrement d’un proche, mort du virus, un enterrement auquel il lui a été interdit de se rendre, parle de son impression de « fosse commune ». Dans l’absence, il en fait partie lui même.
Une jeune patiente cherche à imaginer chaque jour le visage d’un malade tellement elle est étourdie par les bulletins quotidiens du nombre des morts ou des morts-nombres…

Les associations diffèrent, mais elles ont en commun de conjuguer la mort et l’anonymat, et de témoigner du réaménagement des représentations humaines et inhumaines imposé par la pandémie. La menace d’une « dégradation » de la mort, d’un retour à l’anonymat, est le lot des exterminations, des massacres et autres guerres, hier comme aujourd’hui, pas seulement des pandémies. L’indifférence à laquelle condamnent ces désastres rappelle de façon paradoxale l’humanité de la mort.

Comment restituer à la mort anonyme son humanité, comment échapper à l’indifférence, comment restituer sa place à l’individualité une fois la mort devenue quantité ?
Contre la Mort, les morts. Contre l’anonymat restituer un visage et une histoire. Le visage est moins une partie du corps qu’il n’est le représentant du tout. Enfants on peut jouer à se faire disparaître-réapparaître, « coucou, me voilà », en dissimulant son seul visage. Aucune autre partie du corps ne lui est substituable. Tout individu doit à son visage d’être une personne, telle personne.
À ce titre, le visage est le résultat d’un processus psychique qui se construit au fil des relations précoces. Pour se voir, pour se dessiner un visage et prendre plaisir à le contempler, il faut d’abord apprendre du regard maternel que l’on est « la prunelle de ses yeux ». Le visage n’a d’existence que réflexive, il lui faut un miroir, c’est-à-dire le regard d’un autre pour exister.
Winnicott explique comment le premier miroir, celui dans lequel advient le visage de l’enfant, est le visage de la mère : « la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. »
Chacun d’entre nous fait au cours de sa vie l’expérience de la fragilité de cette construction : regarder l’autre, l’envier parfois, être soumis au regard de l’autre ou mourir d’envie d’être regardé par celui-ci, chercher un regard qui se dirige ailleurs…
Au fond des histoires et des drames d’enfants comme des grands.

Depuis plusieurs mois le coronavirus conduit ceux qui ont perdu un parent, un proche, qui ont perdu quelqu’un…à le perdre de vue d’abord. Une fois rentré à l’hôpital il ne peut être retrouvé qu’à la sortie intègre ou à la remise des cendres.
Pratique répandue en Chine, la crémation n’y est cependant pas la règle. Sauf qu’elle l’est devenue, la Commission nationale de la santé chinoise ayant décrété le 1er février l’incinération obligatoire et immédiate. Nous n’en sommes pas là, même si une incitation à l’incinération s’entend ici ou là. Par contre brûler les vêtements du mort, ce que fait l’interne, est un geste hospitalier aujourd’hui fréquent, sinon systématique. Si le malade est une personne, le mort n’est plus personne. Sauf pour les proches qui le chargent d’une existence avant tout affective.

Dans une société de consommation qui puise son développement dans l’assouvissement des plaisirs, nous voyons aujourd’hui le registre de l’autoconservation faire un retour planétaire en force.
L’heure du trauma est là dans le débordement des couloirs hospitaliers mais aussi des émotions individuelles. De quoi sera fait l’après-coup ?
Quels traitements psychiques individuels et collectifs pour tous ces bouleversements?
Comme toujours, certaines réponses collectives – satisfaisantes ou pas - seront fournies par les gouvernements.
Les réponses individuelles seront, quant à elles, mobilisées au travers des ressources et des fragilités de chacun.
Le travail en psychothérapie, en analyse consistera, comme toujours, à retrouver un nouveau compromis entre elles.
Après le trauma collectif, place aux rebondissements individuels.


Véronica Olivieri-Daniel

Véronica Olivieri-Daniel est psychologue à Paris 16

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